Observatoire des Saisons

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Le 29 décembre 2022, par admin

Changement climatique et chêne vert, par Elia Dardevet

Introduction 

Pendant mon master 1 de Biologie Végétale, j’ai réalisé un stage de 3 mois et demi au Centre d’Ecologie Fonctionnelle et Évolutive (CEFE) à Montpellier sur la phénologie et la reproduction du chêne vert. Le CEFE est l’un des plus importants laboratoires d'écologie en France, il travaille, entre autres, sur le chêne vert car c’est l’un des arbres les plus répandus du sud de la France ! Mon stage a porté sur la compréhension de la reproduction du chêne vert qui présente des caractéristiques très spécifiques et semble affectée par le changement climatique.

1. Masting - Chêne vert 

Dessin 1 : Le masting des chênes verts (Elia Dardevet).

Quand le chêne vert se reproduit, tous les chênes verts d’un même endroit produisent massivement des glands en même temps. Cette reproduction s'appelle le masting et on ne connaît pas sa fréquence, elle peut, par exemple, avoir lieu tous les 2 ans ou bien une fois une année puis rien pendant 3 ans.

Des scientifiques ont essayé d'expliquer ce phénomène et ils s’accordent sur au moins 2 facteurs importants

  • La météo liée à la saisonnalité : été, automne, hiver, printemps. Elle permet d’envoyer un même signal a beaucoup d’arbres.
  • Les ressources, par exemple l’eau. Leur rôle exact est encore mystérieux. 

C’est pourquoi mon stage a porté sur la problématique suivante : Quelle est l’implication des ressources dans la reproduction du chêne vert ?

 

2. Les ressources

Dessin 2 : exemples de ressources utilisées par les plantes (Elia Dardevet)

Dans un premier temps, qu’est ce qu’on entend par ressources ?

Il s’agit de substances présentes dans l’environnement dont un organisme a besoin pour croître, se maintenir et se reproduire. 
Pour les plantes, il en existe plusieurs, par exemple : la lumière, les nutriments (comme l’azote) et l’eau.

Les ressources sont liées à l'environnement, donc leur disponibilité varie selon les saisons. En été, les chênes auront moins d’eau à disposition.    
Comme une ressource peut être utilisée pour différentes fonctions au sein de l’arbre, il doit parfois y avoir des compromis : c’est ce qu’on appelle des “trade-off” dans le langage scientifique. 

3. Les trade-offs

De nombreux trade offs existent, par exemple, une plante sur le point de mourir utilisera préférentiellement ses ressources pour se reproduire et engendrer une descendance plutôt que pour sa croissance. 
Dans la littérature scientifique, trois trade-offs ont été observé chez les chênes verts : 

  • Le trade-off entre croissance et reproduction, cité plus haut.
  • Celui entre fréquence et quantité. C'est-à-dire qu’une plante pourrait se reproduire tous les ans avec une production moyenne de graines pour ne pas utiliser toutes ses ressources et assurer sa reproduction l’année suivante. A l’inverse, elle pourrait avoir une production massive de graines sur une année (maximisant ses chances de succès de reproduction), mais vider ses ressources au risque de ne pas en avoir suffisamment pour la reproduction l’année suivante. Pour l‘espèce du chêne vert, avec sa reproduction en masting, c’est le deuxième cas qui a été davantage observé.  
  • De plus, le chêne est un arbre dit monoïque, chaque individu possède deux types de fleurs: des fleurs mâles et des fleurs femelles. À ne pas confondre avec le cas des arbres hermaphrodites, pour lesquels les individus possèdent un seul type de fleurs, qui sont à la fois femelles ET mâles. Cette caractéristique du chêne à pour conséquence un trade-off entre la production de fleurs femelles (plus coûteuse en énergie et donc en ressource) et de fleurs mâles (moins coûteuse en énergie). 
Photo A et dessin 3 : Fleurs femelles de chêne vert, echelle : 3 mm  (photo A : Iris Le Roncé, Dessin : Elia Dardevet) 
Photo B et dessin 4 : Groupe de fleurs mâles (dit “chatons”) de chêne vert, echelle : 3 mm (photo B : Iris Le Roncé, Dessin : Elia Dardevet) 

4. Expériences et résultats 

Au laboratoire du CEFE, 18 chênes verts sont suivis depuis plusieurs années. Nous avons voulu voir quels trade-offs ils utilisaient. Pour cela, les fleurs femelles de 9 des 18 arbres ont été enlevées pour que ces arbres ne produisent pas de glands. Quant aux 9 autres arbres “témoins”, rien n’a été touché. Les arbres sans glands ont donc a priori gardé leur ressources (liées à la production des glands) contrairement aux 9 autres arbres témoins.

Dessin 5 : Expérience : les fleurs femelles de 9 des 18 arbres ont été retirées (Elia Dardevet).

L’année suivante, le nombre de fleurs mâles et de fleurs femelles a été compté sur les 18 arbres. Le nombre de feuilles a également été compté comme indicateur de la croissance : un arbre avec plus de feuilles a une croissance plus importante.

Les résultats ont été comparés entre les deux traitements. 

  • Les 9 chênes dont les fleurs femelles avaient été enlevées (et donc qui n’avait pas fait de glands) ont fait plus de fleurs femelles et donc de glands l’année suivante en comparaison aux 9 arbres témoins. Les reproductions précédentes affectent les reproductions suivantes : mettant en évidence un trade-off de reproduction d’une année sur l'autre.
  • Les arbres dont les glands avaient été retirés, en plus d’avoir produit plus de fleurs femelles, ont également produit plus de feuilles que les arbres témoins. Ceci nous a permis de rejeter l’hypothèse d’un trade-off entre croissance et reproduction sur ces arbres. Ici les ressources sont allouées aux deux fonctions en même temps. 
Dessin 6 : Résultat des expériences au CEFE (Elia Dardevet).
  • Enfin, les fleurs femelles et les fleurs mâles étaient en quantité égale au sein de chacun des 18 chênes verts
Dessin 7 : Résultat des expériences au CEFE (Elia Dardevet).

Ces résultats sont étonnants et remettent en question le potentiel  compromis pour les ressources entre productions de fleurs femelles et de fleurs mâles sur une année. Nous avons donc continué nos expériences sur les fleurs en relevant leur position sur les branches. 

5. Organisation spatiale et temporelle

Chez le chêne vert, les nouvelles branches se forment dans les bourgeons en deux temps : d’abord en été puis au printemps pour s’allonger ensuite. 

Pour voir si cette organisation avait un impact sur la structure des branches, nous avons marqué la position des différents organes (feuilles, fleurs mâles et femelles) sur une branche. Nous avons pu mettre en évidence une organisation spatiale spécifique, avec les fleurs mâles situées plutôt à la base de la branche et les fleurs femelles plutôt au bout

Photo C et dessin 7 : Organisation spatiale et temporelle d’une branche de chêne vert (Photo : Iris Le Roncé, Dessin : Elia Dardevet) 

Sachant que les ressources ne sont pas les mêmes en été et au printemps, nous avons pu émettre l'hypothèse que les ressources nécessaires à la production de fleurs mâles et de fleurs femelles ne sont pas les mêmes, expliquant aussi pourquoi le trade-off entre fleurs femelles et fleurs mâles n’a pas été observé sur les chênes du CEFE. 

Qu’est-ce que ça nous apporte de savoir ça ? 

 

6. Modélisation 

Ces connaissances se sont ajoutées à d’autres, et ensemble elles permettent de mieux comprendre le fonctionnement des forêts. Notamment, via la modélisation, ces données sont regroupées sous forme d’équations mathématiques pour reproduire les processus naturels et ensuite émettre des prédictions. 

Isabelle Chuine, avec l’aide de plusieurs autres scientifiques, a mis en place le modèle “PHENOFIT”, qui permet de modéliser la distribution spatiale de certaines espèces d'arbres sous différente température. Marie, une camarade de classe, y a intégré des données de reproduction du chêne vert liées aux ressources

Dessin 8 : Distribution spatiale du chêne pédonculé selon le modèle PHENOFIT adapté de l’article “Climate change impacts on tree ranges: model intercomparison facilitates understanding and quantification of uncertainty” de A.cheaib, V.Badeau et al. (Elia Dardevet)

7. Conclusion

Avec le changement climatique, il est crucial d’avoir ces informations, en prenant en compte l’augmentation des températures et de CO2 dans l’atmosphère. Dans ces conditions, de plus en plus d'événements climatiques extrêmes auront lieu, comme par exemple des canicules, qui auront des impacts directs sur les arbres et la régénération des forêts.

 

Elia Dardevet pour l'Observatoire des Saisons.